Depuis une vingtaine d'années, les prix de l'immobilier résidentiel sont en forte hausse dans plusieurs pays développés, notamment en Suisse. Les répercussions de la crise financière mondiale (GFC, 2008-09) ont fortement ébranlé les États-Unis et l'Irlande, alors que les autres pays ont connu des replis moins importants et que la Suisse n'en a quasiment pas connu. Depuis, les prix se sont redressés pour atteindre de nouveaux sommets en 2021. Cette tendance a incité de nombreux commentateurs et analystes à mettre en garde contre une “bulle” des prix du logement.

Prix réels de l'immobilier en Suisse, aux États-Unis, en Allemagne
et au Royaume-Uni (2015=100)

Source: OCDE

Prix des maisons individuelles en Suisse selon Fahrländer Partner,
IAZI et Wüest Partner depuis 2000

Source: Banque Nationale de Suisse

Depuis peu, certains signes laissent penser que le marché se replie en réaction à la forte augmentation des taux d'intérêt; les banques centrales ayant réagi à l'inflation provoquée par les chocs d'approvisionnement lors de la pandémie et de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022. Certains considèrent ce ralentissement comme un signe avant-coureur d'une catastrophe à venir.

Taux d'intérêt de la zone euro — prêts immobiliers (pourcentages annuels)
Source: BCE

Les investisseurs immobiliers suisses devraient-ils prendre garde et vendre? Dans un premier temps, les investisseurs doivent se demander s'il s'agit réellement d'une bulle. Pour répondre à cette question, l'étude des conclusions de William Quinn et John D. Turner, auteurs de Boom and Bust: A Global History of Financial Bubbles, publié en 2020, est utile.

Pour illustrer la cause des bulles de marché, ils ont conçu le “triangle de la bulle”. Selon ce modèle, les bulles apparaissent lorsqu'une combinaison d'argent facile, de spéculation et de négociabilité (ou de liquidité) est catalysée par un événement extérieur tel qu'une innovation technologique ou un changement de politique gouvernementale.

Le triangle de la bulle
Source: Cambridge University Press

Entre 2008 et 2021, il ne fait aucun doute que l'argent était disponible en abondance et qu'il était facile et bon marché d'y accéder, les taux d'intérêt ayant atteint des niveaux historiquement bas, voire négatifs, dans de nombreux pays, y compris la Suisse.

Croissance de la masse monétaire en Europe (en billions EUR)*
Source: European Inflation Tracker

* Selon European Inflation Tracker: M0 est désigné comme monnaie de base et comprend les billets de banque en circulation ainsi que les dépôts de réserve (obligatoires et excessifs) des banques commerciales auprès de la BCE. M1 englobe la monnaie en circulation et les dépôts à vue des clients des banques commerciales. M2 comprend l'ensemble de M1 ainsi que les dépôts à terme d'une durée inférieure ou égale à deux ans et les dépôts remboursables avec un préavis inférieur ou égal à trois mois. M3 comprend l'ensemble de M2 ainsi que les opérations de pension, les titres d'OPCVM monétaires et les titres de créance d'une durée inférieure ou égale à deux ans.

Taux d'intérêt à long terme en Suisse depuis 2008
Source: Banque de la Réserve Fédérale de St. Louis

Ces conditions d'argent facile sont, selon Quinn et Turner, le “carburant” d'une bulle, comparable à un incendie. L’“oxygène” est la négociabilité, ou la liquidité, des actifs concernés, c'est-à-dire s'ils sont faciles et rapides à acheter et à vendre. Si les actions et les obligations cotées en bourse sont très liquides, il n'en va pas de même pour l'immobilier résidentiel. Il faut parfois des semaines, voire des mois, pour que les maisons et les appartements soient négociés.

Les deux auteurs indiquent que le troisième côté du triangle de la bulle est la “chaleur”, fruit d'un comportement spéculatif. En d'autres termes, les gens achètent à court terme parce qu'ils pensent que les prix vont augmenter et qu'ils pourront vendre en réalisant rapidement des bénéfices. Ils n'achètent pas parce qu'ils pensent que l'actif est sous-évalué ou parce qu'il répond à un objectif personnel tel que l'investissement pour leur retraite.

Une part substantielle de la population achète des logements dans le but de les “revendre”. On parle alors de spéculateurs, définis ainsi parce que, premièrement, ils n'ont pas l'intention d'habiter ces biens et, deuxièmement, ils n'ont pas l'intention de les conserver plus de quelques mois ou, au maximum, une année.

La spéculation est, dans une certaine mesure, utile au marché de l'immobilier, car elle apporte des liquidités. Cependant, au-delà d'un certain niveau, le coût des transactions s'en trouve impacté et une bulle peut se former. Ce niveau peut-être déterminé en mesurant les ratios prix-loyer ou prix-bénéfice. Ces indicateurs d'accessibilité largement utilisés comparent les prix moyens des logements aux loyers annuels moyens et aux revenus individuels. Un ratio élevé et, plus important encore, un ratio qui s'écarte considérablement de sa moyenne historique, peuvent indiquer un excès spéculatif.

Ratio prix/loyer en Suisse
Source: Trading Economics

Le graphique ci-dessus montre qu'en Suisse, le ratio était de 126,7% à la fin de l'année 2022. C'est 71% de plus que le niveau le plus bas atteint en 2002, mais encore 11,4% de moins que le sommet historique de 1989, enregistré il y a plusieurs dizaines d'années. Ces données suggèrent que le marché suisse de l'immobilier n'est peut-être pas une bulle.

Pour définir une bulle, les ratios ne dévient pas beaucoup de leurs moyennes à long terme. Le graphique des ratios prix/loyer le confirme, alors que celui du ratio prix/bénéfice place la Suisse au dixième rang des pays de l'OCDE pour ce qui est des ratios les plus élevés.

Ratios prix du logement/revenu dans les pays de l'OCDE (2015=100) au 1er trimestre 2023 ou à la date la plus récente disponible
Source: OCDE

Pour finir, une bulle a besoin d'un catalyseur, d'une étincelle qui mettra le feu à la confluence combustible de l'argent facile, de la liquidité abondante du marché et de la spéculation effrénée. Selon les auteurs de Boom and Bust, historiquement, l'étincelle a été soit une nouvelle technologie, comme l'internet pendant la bulle “dot-com” (1995-2000), soit une nouvelle politique gouvernementale, soit les deux. Cette théorie diffère de celle de Hyman Minsky sur l'instabilité des marchés, selon laquelle une simple inversion des prix peut affoler les spéculateurs et provoquer une crise.

Le secteur de la technologie, illustré dans le graphique ci-dessous par le marché NASDAQ à dominante technologique, domine le marché boursier depuis plus d'une décennie grâce à la croissance des ventes en ligne, des réseaux sociaux, de la blockchain, de l'intelligence artificielle et de bien d'autres facteurs. Toutefois, aucun de ces éléments ne représente une nouvelle technologie.

Performance du NASDAQ, du S&P 500 et du Russell 2000 depuis les années 1980
Source: Yahoo Finance

Si nous devions identifier un catalyseur actuel de l'éventuelle bulle immobilière, la politique d'assouplissement quantitatif de la banque centrale en serait la cause. L'assouplissement quantitatif, réponse des pays développés à la crise financière mondiale, est un changement fondamental de la politique monétaire sans précédent dans l'histoire moderne, à l'exception du Japon post-1991.

Mis en œuvre pour la première fois aux États-Unis en novembre 2008, il s'est stabilisé jusqu'en 2020 et a été renouvelé pendant la pandémie de COVID-19. On estime à plus 28 billions USD le total des largesses monétaires de la Réserve fédérale, de la Banque d'Angleterre, de la Banque du Japon et de la Banque centrale européenne (BCE). Destiné à stimuler l'investissement dans le développement économique, le manque de confiance des entreprises a fait que peu de cet argent a été utilisé pour augmenter la croissance économique. L'essentiel a été investi dans des actifs négociables de toutes sortes: actions, obligations, métaux précieux, objets de collection, crypto-monnaies et immobilier, bien sûr.

Toutefois, contrairement aux actions, l'immobilier est moins sujet à des revirements soudains. La relative stabilité de l'immobilier résidentiel est évidente si l'on compare les deux graphiques suivants. Le premier illustre les mouvements à long terme de MSCI World Index des marchés d'actions.

Performance de MSCI World Index depuis 1980
Source: CNBC

Le second illustre de manière plus ou moins comparable l'évolution des prix de l'immobilier dans une sélection d'économies de l'OCDE. La différence de volatilité entre les sommets et les creux est évidente.

Indices annuels des prix réels de l'immobilier pour les pays de l'OCDE (1980=100)
Source: OCDE

Il a fallu attendre la réaction du marché irlandais, notoirement effervescent, avant la crise financière mondiale, pour que l'immobilier connaisse des retournements de tendance aussi brutaux que ceux des actions.

L'expérience montre donc que “krach” et “prix de l'immobilier” ne vont généralement pas de pair. Un des facteurs contribuant à la différence entre les marchés des actions et de l'immobilier est que les banques centrales peuvent influencer le marché de l'immobilier par le biais de la politique monétaire, alors qu'il est difficile pour les banques centrales ou les gouvernements d'influencer le marché des actions.

Si l'on prend l'Irlande comme référence, la chute la plus importante que l'on puisse observer sur un marché immobilier est d'environ 50%. La Suisse, comme nous l'avons déjà noté, n'est pas du tout confrontée à l'excès spéculatif qui a conduit à cette chute.

Dans tous les cas, la demande suisse de logements reste solide, bien que l'accession à la propriété soit devenue plus chère que la location.

Comparaison du coût financier de la propriété résidentielle par rapport au logement locatif
Source: Credit Suisse

Selon le Credit Suisse, le principal facteur de croissance de la demande est la pénurie croissante de logements neufs en cours de construction. La banque suggère que les réformes de la législation en matière de planification, adoptées en 2014, sont la cause principale de cette pénurie.

Quelle que soit la véritable raison, le Crédit Suisse prévoit que le taux d'inoccupation des logements chutera à seulement 1% lorsque l'activité de construction passera de 54’000 nouveaux appartements par an entre 2015 et 2018 à 42’000 en 2023 et 2024, selon les prévisions.

Non seulement la bulle immobilière suisse ne semble pas exister à l'heure actuelle, mais la probabilité d'un krach du marché semble également très faible. Pour UBS, les perspectives sont les suivantes: les prix sont surévalués, mais le “risque de bulle”, bien qu'élevé, n'est pas inquiétant.

Indice de bulle immobilière suisse au 1er trimestre 2023
Source: UBS

Néanmoins, on ne peut échapper aux effets de la hausse des taux d'intérêt et de cette inflation persistante sur la propriété premium et, de ce fait, sur l'accessibilité financière et la demande. Même si les prévisions de ralentissement de la croissance économique réduisent cette prime, la prudence accrue des acheteurs au fur et à mesure du ralentissement de la croissance compensera probablement l'attrait accru qu'elle exerce.

Pour les 18 mois à venir, les prévisions des experts concernant les prix de l'immobilier résidentiel en Suisse sont plutôt modérées. Le Credit Suisse en est un exemple. Il s'attend à un “atterrissage en douceur”, avec des prix stagnant ou, au pire, subissant une légère baisse (ce qui s'est déjà produit en partie, comme le montre la variation minime des prix des logements pour le premier trimestre 2023).

Prix des logements en Suisse au 1er trimestre 2023
Source: Real Advisor

Même ceux dont les titres sont alarmistes se contentent d'énoncer une série d'arguments pour et contre avant, dans le meilleur des cas, d'arriver à une prévision non concluante.

Quoi qu'il en soit, il est bon de se rappeler que l'immobilier suisse de premier rang, tel que celui dont bénéficient les clients et les investisseurs de Le Bijou, tend à résister aux vents contraires du marché — voire aux tempêtes — avec un certain aplomb.

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