Ces 18 derniers mois (depuis le début de l'année 2022) se sont révélés peu réjouissants pour le secteur de l'immobilier. À vrai dire, ce sentiment s'applique à presque toutes les classes d'actifs à travers le monde. Attisés par la guerre en Ukraine, l'inflation et les taux d'intérêt sont sortis de leur torpeur de plusieurs décennies; les acheteurs ont dû faire face à des banques moins enclines à proposer des prêts hypothécaires, tandis que les vendeurs ont été confrontés à l'effondrement de l'activité sur le marché.

 

Indices de la valeur du capital immobilier (en monnaies locales, T4 2021=100)
Source: UBS

Le Royaume-Uni, bien connu pour sa tendance à être plus volatile que la plupart des autres marchés, a joué un rôle de premier plan et a été à l'origine du déclin, alors que la région Asie-Pacifique a été à peine touchée. Les répercussions se sont néanmoins fait sentir dans presque tous les coins du monde, dans une certaine mesure.

Dans le même temps, de nombreux commentateurs ont commencé à prévoir des perspectives sombres pour les prix de l'immobilier dans le monde entier. Même le marché résidentiel suisse, habituellement moins sensible à de telles préoccupations, a fait l'objet d'une analyse négative.

Dans ce contexte, on pourrait être tenté de remettre à plus tard tout projet d'investissement dans l'immobilier suisse, et préférer observer le marché de loin, jusqu'à ce que la pression soit retombée. Il convient toutefois d'y regarder de plus près pour savoir si cette prudence est justifiée ou non.

L'immobilier résidentiel suisse: Où en sommes-nous?

En 2022, après un prompt rebond suite au choc initial de la pandémie, la demande de logements occupés par leur propriétaire en Suisse est malheureusement retombée à des niveaux faibles, équivalant aux chiffres de 2020. Ce recul peut être attribué aux conséquences de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, ainsi qu'à la hausse notable des taux d'intérêt et de l'inflation.

 

Indices de la demande de logements en Suisse (dernières données: décembre 2022)
Source: Credit Suisse

Le taux d'intérêt annuel sur un prêt hypothécaire à taux fixe de cinq ans est passé d'environ 1% à 2,7% en l'espace d'un an. Bien que cette augmentation puisse sembler modeste par rapport au taux d'intérêt moyen historique de 4% pour des prêts similaires à long terme, l'impact concret a été important. En substance, en termes de trésorerie, le coût annuel du recours au prêt pour un appartement moyen (4,5 pièces) est passé de 8’250 à 21’380 CHF.

Pour les jeunes adultes, cette charge supplémentaire était extrêmement lourde, d'autant plus que presque tous les autres coûts, tels que le carburant, la nourriture, les voyages, les loisirs, etc, – ont également augmenté de manière significative.

 

Prix de l'alimentation, de l'énergie et de l'ensemble des prix en Suisse (2015=100, janvier 2003 - juillet 2023)
Source: OCDE

Les prix réels des logements n'ont toutefois pas connu de baisse soutenue; c'est plutôt le taux de croissance des prix qui a diminué. Au cours du deuxième trimestre 2023, par exemple, les prix moyens des logements ont augmenté de 1,2%, mais sont restés supérieurs de 2,4% à ceux de l'année précédente et de 15,9% à ceux de la fin 2019.

De ce fait, c'est davantage leur accessibilité financière que leur prix qui a été déterminant pour les acheteurs potentiels sur le marché suisse de l'immobilier résidentiel, tout au long de l'année 2022. Il en sera de même en 2023, la Suisse se situant au 9ᵉ rang mondial pour ce qui est du ratio prix du logement/revenu.

 

Ratio prix du logement/revenu dans certains pays du monde (2015=100, T2 2023 ou dernières données disponibles)
Source: OCDE

Aux yeux des investisseurs, ces coûts impliquent que le marché de l'investissement locatif n'est plus attractif, en dépit de la croissance continue de la demande. Cependant, l'évolution à la hausse des taux de location des logements, qui peut être en partie attribuée à la croissance persistante de l'immigration nette, pourrait donner une image différente.

Par conséquent, le rendement des investissements immobiliers se situe maintenant à moins de 1,5 point de pourcentage de celui des obligations de la Confédération suisse à 10 ans. Cette disparité n'est certainement pas suffisante pour faire de l'immobilier locatif, qui nécessite beaucoup d'entretien, un investissement plus attrayant que les obligations “à acheter et à oublier”, qu'elles soient émises par l'État ou par des entreprises.

Compte tenu de ces considérations, on pourrait s'attendre à ce que les prix connaissent une baisse progressive et prolongée. La raison pour laquelle cela ne s'est pas encore produit est principalement due à un problème aigu de rareté de l'offre.

Davantage de constructions sont nécessaires – de toute urgence

En 2022, la construction de maisons et d'appartements a continué à diminuer, entraînant une baisse de 3% par rapport à l'année précédente et de 41% par rapport au pic de 2011. Dans son rapport sur l'immobilier de mars 2023, le Credit Suisse qualifie cette pénurie de “terrible” et de “susceptible de s'aggraver considérablement.”

La banque impute le problème de l'offre aux politiques d'aménagement du territoire de la Suisse, qui ont toujours été restrictives, mais qui le sont devenues encore plus avec l'adoption de la Loi sur l'aménagement du territoire, entrée en vigueur en 2014. Cette législation limite l'expansion des zones de construction autorisées, forçant les promoteurs à se limiter aux limites existantes.

La transposition de cette loi a été un long processus, puisque son approbation dans les 26 cantons n'a été finalisée qu'en octobre 2022. Même dans ce cas, l'effet de cette législation ne sera pleinement perceptible que lorsque tous les cantons auront adapté leurs réglementations pour se conformer aux nouvelles exigences fédérales.

Le graphique ci-dessous montre dans quelle mesure les nouvelles restrictions ont eu un effet dissuasif sur la délivrance de nouveaux permis de construire au cours des dernières années (“SFH” fait référence aux maisons individuelles; “CDM” fait référence aux appartements en copropriété).

 

Demandes de permis de construire et autorisations de construction en nombre d'unités résidentielles (moyenne mobile sur 12 mois)
Source: Credit Suisse

Depuis mars 2023, la location de son logement en Suisse est définitivement devenue plus intéressante que l'achat, sur le plan financier. En revanche, les valorisations restent très modérées en raison de la pénurie structurelle de nouvelles constructions. Même si la hausse des prix continue donc de ralentir, ce qui semble probable pour cette année, la baisse devrait être faible et progressive.

Les perspectives de l'immobilier commercial

Le statu quo en matière d'espaces de bureaux est assez similaire. Les demandes de permis de construire et les autorisations continuent de traîner derrière leurs tendances historiques à long terme, et les habitudes de travail hybrides, développées pendant la pandémie, sont apparemment en passe de devenir une caractéristique permanente de la vie professionnelle; les employés partageant leur semaine de travail entre leur domicile et leur lieu de travail.

L'essentiel de l'activité actuelle du marché tourne autour de la rénovation des propriétés existantes pour répondre à des normes d'efficacité énergétique plus élevées, ainsi qu’à l'adaptation des immeubles de bureaux à la “nouvelle normalité” des modèles de travail hybrides.

 

Demandes de permis de construire et autorisations de construction pour des espaces de bureaux, cumul sur 12 mois (en millions CHF)
Source: Credit Suisse

Dans ce contexte, il est peu probable que l'on assiste à une baisse significative des prix. Les prix sont bien soutenus par la pénurie structurelle, même si l'on tient compte de la probabilité que le marasme économique actuel persiste. Selon l'OCDE, l'économie suisse devrait atteindre un taux de croissance de seulement 0,6% cette année, avec une modeste reprise de 1,6% prévue en 2024.

Les perspectives de l'immobilier résidentiel suisse en 2024

Si les prévisions économiques ne sont pas vraiment optimistes pour l'évaluation des maisons, elles ne sont pas non plus totalement décourageantes. De fait, l'attente d'une croissance légèrement meilleure l'année prochaine devrait être un facteur de soutien.

L'évolution future de l'inflation et des taux d'intérêt est toutefois plus significative, car la trajectoire récente a été prometteuse. Après avoir atteint un pic post pandémique de 2,4% en février 2022, le taux de croissance de base des prix est tombé à seulement 1,6% en juillet 2023.

Karsten Junius, économiste chez J. Safra Sarasin, une banque privée suisse, a noté que la Suisse était la première zone monétaire où l'inflation globale et l'inflation de base étaient tombées en dessous de leur cible. La Banque nationale suisse (BNS) utilise une fourchette théorique de 0 à 2% depuis le début du millénaire.

Malgré cette performance favorable, M. Junius a averti que certaines composantes des statistiques de prix – notamment les loyers et les coûts de l'énergie - risquaient d'augmenter à court terme, ajoutant 25 points de base à l'inflation. Il s'attend également à ce que la BNS augmente son taux directeur d'ici septembre 2023, ce qui sera probablement la dernière mesure de ce cycle de resserrement.

Chez Le Bijou, nous sommes d'accord pour dire que lorsque les prix augmentent à un rythme déjà inférieur à l'objectif de la BNS, les discussions sur l'existence ou non d'une petite tendance à la hausse à court terme semblent sans importance. Même si le taux devait atteindre 2%, il resterait dans les limites de l'objectif et la Suisse conserverait le deuxième taux d'inflation le plus bas du monde.

 

Taux d'inflation par pays (en %)
Source: Trading Economics

Quoi qu'il en soit, ces circonstances ont été largement analysées et discutées dans les médias financiers et grand public, si bien qu'il est fort probable qu'elles aient déjà été prises en compte dans les évaluations immobilières. En conséquence, les perspectives de ces évaluations dépendent beaucoup plus de la demande et de l'offre réelles.

Pensées finales

Comme mentionné précédemment, le rythme de croissance de la demande s'est ralenti, mais n'est pas tombé en dessous de sa moyenne à long terme. Néanmoins, comme l'indique le Credit Suisse, “l'extraordinaire boom observé en 2020 et 2021 a pris fin.” Entre-temps, des facteurs tels que l'accessibilité* et l'augmentation des coûts semblent susceptibles de freiner la demande en 2024.

* Le Credit Suisse a indiqué qu'un ménage disposant d'un revenu moyen brut de 119’000 CHF en Suisse devrait consacrer 40% de ce montant au remboursement d'un prêt de 80% sur un appartement en copropriété de taille moyenne construit dans le neuf. Si l'achat envisagé était une maison individuelle de taille moyenne, la part du revenu du ménage nécessaire pour couvrir les intérêts s'élèverait à 59%.

Malgré cela, l'absence de nouvelles constructions place un plancher systémique sous les évaluations immobilières suisses. Ce plancher est ancré dans les réglementations fédérales et cantonales ainsi que dans les processus administratifs, qui ne devraient pas subir de changements significatifs.

Ceci étant dit, il apparaît que les valorisations continueront à baisser en 2024, tant pour les biens résidentiels que pour les biens commerciaux. Cette baisse sera le résultat d'une confluence entre l'augmentation des coûts, la réduction de l'accessibilité et la léthargie de l'économie. Il est peu probable que la courbe soit très prononcée, étant donné que l'inflation et les taux d'intérêt sont déjà proches des sommets atteints au cours de ce cycle.

Pour les investisseurs potentiels n'ayant pas encore fait leur entrée sur le marché de l'immobilier ou cherchant à compléter un portefeuille existant, il s'agit d'une bonne nouvelle. La tendance à la hausse des prix à long terme restant inchangée, le recul actuel offre une opportunité d'investissement qui, il y a seulement 18 mois, semblait improbable.

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